Algesiras-Maroc
Jeudi 19
Relache à Algésiras. Un coup de vent est annoncé assez fort!On est arrivé avant en sécurité. François et Maurice vont faire un petit tour à Gibraltar pendant que Adrian et Fanny préparent leur départ… Tempête partout !!! Les ferries sont à l’arrêt, Adrian ne partira que demain. L’aéroport de Malaga est fermé, Yves atterrit à Séville et doit prendre un car demain matin. Notre bus nous ramène de Gibraltar en surfant sur les vagues ! Un dernier quart d’heure à pieds suffit pour nous tremper. Ouf ! 20H au chaud, à l’abri dans le bateau où nous recueillons les jeunes pour une nouvelle nuit.
Vendredi 20
Yves nous a rejoint vers 10h, Adrian et Fanny s’en vont vers le ferry.
Yves : « "Une des marques les plus assurées de la joie est son caractère totalitaire. Le régime de la joie est celui du tout ou rien, il n'est de joie que totale ou nulle." Si Clément Rosset était encore vivant (et avec nous sur le bateau) quand je suis enfin arrivé, il aurait pu vérifier par lui même ce qu'il écrit dans « La Force majeure » / Ed. de Minuit 1983/. Livre que j’ai entamé dans l’avion la veille avant d’apprendre que l'aéroport de Malaga serait fermé pour cause de vent trop violent. J'ai du atterrir à Séville puis retourner à Malaga en bus, attendre quelques heures à la gare routière et m’endormir au petit matin dans un bus vers Algeciras.
Mais le contexte n'est pas déterminant, car comme poursuit Clément Rosset : « L'homme joyeux se réjouit certes de ceci ou de cela en particulier, mais à l'interroger davantage on découvre vite qu'il se réjouit aussi de tel autre ceci et tel autre cela et encore de telle et telle autre chose, et ainsi de suite à l'infini. Sa réjouissance n'est pas particulière mais générale : il est joyeux de toutes les joies ».
Merci donc à Clément Rosset, car on ne pourrait dire mieux pour commenter la joie de nos retrouvailles, juste avant de filer en traversant ce détroit si bien venté. »
On décolle à 12h vers la Marina de Smir au Maroc.
Il y a 35 miles à courir, on les fait en 4h avec un vent établi à 20nx et des rafales à 30nx, on finit par prendre un deuxième ris car le vent ne mollit pas comme annoncé.
Arrivée à Smir vers 16h30. Mais nous ne pourrons mettre pied à terre qu’à 20h30.
Selon François, les régimes totalitaires ont un avantage sur les démocraties libérales : celui de créer pléthore d’emplois. En arrivant devant le quai d’accueil de Smir, à la question, quelle est votre Provenance ? Nous avons trop vite répondu : la France. Aussitôt nous sommes invités à mouiller dans la rade au fond sableux sur lequel l’ancre dérape, nous obligeant à reprendre du terrain au moteur plusieurs fois. Après quelques heures les représentants de la Commission de Sécurité sanitaire arrivent au moment où, dépités, nous étions prêts à repartir vers le large…Nous accostons à nouveau pour accueillir deux fonctionnaires aussi zélés que sympathiques. Ils inspectent nos couchettes avec leurs smartphones munis d’une application « détection des puces de lit ». Le test étant négatif, la commission sanitaire est rassurée et, par la même occasion, nous aussi. François, seul, est invité à terre au poste de police muni de nos passeports et des papiers du bateau. Là, les choses vont s’arranger lorsque les zélés policiers vont découvrir qu’il est né à Safi. Nuit tombée, il revient au bateau pour repartir aussitôt dans les locaux de la douane où les choses les plus simples ne sont jamais assez simples pour justifier de l’importance et la nécessité de chacun des nombreux emplois créés par la couronne du Maroc. Passent alors deux douaniers qui inspectent assez sommairement le bateau… enfin nous pouvons descendre à terre. Petit tour dans la tempête, puis retour au bateau, bien à l’abri.
Samedi 21
Visite de la médina de Tétouan …Magnifique ! On se perd dans le labyrinthe des ruelles multiples dont la plupart sont des culs de sac. Nous assistons à une altercation subite et musclée entre un voleur présumé et un service d’ordre improvisé pendant que François et Momo dégustent un café. Achats d’olives, et avocats, et on finit par trouver une sortie à proximité du palais du roi. En dégustant un thé à la menthe, une envie de tajine et couscous vient réveiller nos intestins. Ils nous faut des dirhams !!!
Momo se bat avec un distributeur de billets malveillant qui lui a mangé sa carte bleue. Pourtant, il était bien éclairé avec une jolie phrase en français : « Insérez votre carte banquaire. » , injonction et très compréhensive que j’ai suivie à la lettre. Le distributeur est resté muet, il était déjà 18h, donc la banque UBN (Union des Banques du Maroc) était fermée et le sera jusqu’à lundi 8h30, nous essayons avec d’autres cartes, ciné, abonnement, et d’autres gestes légèrement plus agressifs… de débloquer l’objet, rien n’y fait… nous resterons bloqués jusqu’à lundi matin 8h30.
Dimancche 22
Il fait un temps pourri, pluie, vent frais. Relâche , quartier libre …Dans l’après midi rafales 40nx dans le port. Les chaises volent, les yacht de 40m se couchent sur le quai, on double les amarres au vent et on raidit la pendille pour éviter de taper dans le quai …
On décide d’aller chercher la carte bleue de Momo à l’ouverture de la banque à Tetouan, de revenir au plus tôt au bateau pour filer vers l’est dès le lendemain si la douane et la police s’accordent avec l’esprit du vent.
Lundi 23
Ponctuel, notre taxi nous attend à l'entrée de la Marina à 7:15. Le trafic est fluide jusqu'à Tétouan. Silence dans la Dacia 7 places. Chacun songe aux alternatives possibles : va t on récupérer la carte de Momo? Et si oui, dans quel délai ?
Comme les humains, les villes n'ont pas le même visage tôt le lundi matin et tard le samedi soir. L'ambiance est calme, presque douce. La banque ouvre à 8:15, un peu en avance, on s'autorise un petit tour sans s'égarer trop loin dans la médina. Au retour la banque est ouverte. Un garde s'interpose puis sur notre bonne mine nous autorise à pénétrer dans l'Office où trois employés s'affairent sur des écrans. Après explications, un homme grand en complet élégant sort d'un bureau arrière, consulte le passeport de Momo et lui tend sa carte bleue en silence. Le Corse balbutie alors quelque chose à propos de sa journée de dimanche bloquée. Le grand élégant sourit en lui répondant à peine puis nous précède vers la sortie et il s'en va guilleret boire un café. On se surprend à penser qu'il a fini sa journée. La nôtre commence, retour à la Marina, préparatifs de décollage.
Mardi 24
Les formalités d’usage sont expédiées aussi vite que le retour de la carte bleue. Vers midi le ciel est gris, l'air est humide mais il ne pleut presque pas, une bonne brise nous pousse vers l'est. Une ou deux heures plus tard, une centaine de dauphins virevoltent autour de Petit Gris. Quelques uns tout près se frottent à la proue ou glissent sur les flancs du bateau, d'autres plus nombreux jouent tout autour à quelques dizaines de mètres. Ce joyeux petit ballet se prolonge un bon quart d'heure puis les artistes disparaissent aussi subitement qu'ils étaient apparus.
Au soir, comme souvent le vent faiblit puis tombe et nous laisse en panne.
Mercredi 25
Tra il dire e il fare c'e di mezo il mare.
Sur le Petit gris aussi, « entre le dire et le faire il y a la mer ».
Le départ vers midi (après les démarches habituelles, on s’y habitue) pendant près de quatre heures au moteur est longtemps, trop longtemps lent et mou .
A la nuit, le vent se lève puis forcit, forcit, forcit…
Et la houle aussi , le moins qu’on puisse dire , c’est que ça brasse fort avec des petites déferlantes qui couchent le bateau. On a mis très vite le foc de gros temps et deux ris dans la voile ! On est paré pour la nuit et effectivement ça dure toute la nuit…
Agonisants sur le planché du carré, secoués par le fracas des déferlantes, la tête alternativement dans le seau, Yves et François offrent de leurs entrailles un cassoulet trop vite englouti.
Pendant ce temps, Momo jovial, fend les vagues, en inondant au passage la cabine arrière par un hublot malencontreusement laissé entre-ouvert.
Il n’est pas interdit de penser alors à cette maxime attribuée souvent à Aristote sans pouvoir le certifier en l’absence de preuves formelles.
Il y a les vivants. Il y a les morts. Et puis, il y a celles et ceux qui vont en mer.
Quelle que soit l’estime que l’on peut avoir pour Aristote, on conviendra que sur ce coup, il fait preuve d’un sens de l’humour tout à fait respectable.
Le hublot est refermé, sauvé ce qui n’a pas pris l’eau, le sac à dos avec l’essentiel et la plupart des habits !, On attendra le jour pour intervenir plus !
Heureusement pour Yves et François, le mal de mer ne les prends que quelques heures et après quelques autres heures de sommeil, ils se réveillent secoués mais aptes à manoeuvrer en conversant avec les cargos, pétroliers, paquebots, puffins, goélands et autres oiseaux de passage.
Au petit matin, le vent baisse aussi vite que ce qu’il est venu ! Il nous reste la houle et c’est cahin caha que nous arrivons au moteur au port d'Almeria juste avant la tempête annoncée.