En route vers la Grèce
Jeudi 9 et vendredi
Momo:
Jeudi 9. Marseille-avion-Palerme puis par la route jusqu'à Sciacca. Le car traverse des montagnes boisées, par endroit des champs d'oliviers, des vignes et des prés où paissent des vaches noires et le bus qui double des véhicules plus lents sans se soucier des doubles lignes blanches. Arrivée à Sciacca, embrassades, amis depuis un demi siècle!
Vendredi 10. Avitaillement, bain à la plage puis le soir arrive le troisième marin "Yves". Embrassades! L'équipage est au complet!Repas à bord, discussions on démarrera le "combo" demain (le combo est un jeu de carte passionnant hi hi!).
une photo de Momo naturelle ;)
Samedi 11
Pour s'amariner, nous naviguons par une douce brise jusqu'à Licata où nous arrivons le soir... petit resto!
Dimanche 12
Lundi 13
Départ au moteur pour Zakinthos en Grèce, mais le vent annoncé n'est pas au rendez vous.
Après 24h de mer depuis Ragusa vers l'est sur une route directe vers les Ionnienes, force est de constater que les prévisions météo ne sont pas à la hauteur des attentes de l'équipage. Le vent prévu n'est pas là.
Un malheur arrivant rarement tout seul, le régulateur d'allure n'a pas fière allure. Il fait un peu n'importe quoi... Après vérification un axe de transmission s'est rompu sous les efforts répétés qui lui sont imposés. Une décision s'impose. Rester sur cette route nous ferrait traverser un fort coup de vent du Sud en barrant plus de 40het probablement à manquer de vivre ce qui nous contriendrait à manger le plus jeune.
Cap plein nord sur la Calabre sur le bout de la botte italienne. Une journée de moteur épuisante car les forts du vent du sud ne viennent pas jusqu'a nous. Comme si un paravent était installé à une certaine latitude nous imposait de nous trainer au moteur à 3 noeuds. En revanche, une forte houle se propage jusqu'à nous.
Et quand la houle est là et que le vent n'y est pas, la houle n'est pas contente et se venge sur l'oreille interne envoie vers le cerveau des signaux de détresse. Des injonctions contradictoires qui bloquent les circuits de décision élémentaires de certains d'entre nous, transformant ainsi le sujet atteint en légume flétri, matière amorphe et esprit nostalgique.
L'entourage du malheureux atteint par le 'mal de mer' redouble alors de conseils bienveillants. Tu devrais manger un peu. Dit on par ici. La nausée qui étreint le malade ne daigne même pas répondre à ce conseil qui lui parait absurde. Si on avait un peu de vent, tu pourrais barrer, propose ensuite en souriant un apprenti sadique...
Puis l'entourage se lasse et on envoie le malade 'dormir' dans la cabine avant ou il s'effondre agonisant. Dans le meilleur des cas, il finit par s'endormir une heure ou deux. Lorsqu'il s'éveille et reprend ses esprits (ou ce qu'il en reste), le malade prend conscience qu'il n'est pas sorti d'affaire. Il peut alors lui venir l'idée d'aller prendre l'air sur le pont. Si cette idée est mise en application un peu trop rapidement, il y a fort à parier qu'il aura juste le temps d'attraper un sceau pour éviter d'étaler le contenu de son estomac sur les chaussures du skipper.
A la tombée du jour, en approchant du port de Rocella, la houle se calme, le malade va mieux. On lui confie la barre à laquelle il s'accroche tremblant de froid ou de peur à l'idée que son mal le reprenne. Un feu vert est apercu, et enfin un rouge que les déferlantes masquaient auparavant en se brisant sur la digue au large. La manoeuvre d'entrée est délicate. Avec la houle la profondeur d'entrée peut varier du simple au double. Le malade est toujours a la barre. On le conseille aimablement au début de l'approche. Puis progressivement de façon plus énergique. Au moment du passage le plus délicat, les conseils deviennent des ordres énoncés fermement et finalement comme des hurlements de sauvages. Alors seulement, le mal de mer s'estompe puis disparait complètement. Est ce le choc psychologique des hurlements ou le soulagememt d'arriver à a terre qui fait office de remède au mal de mer ? Le 'malade' se posera longtemps la question avant de s'endormir.
Mais auparavant un spectacle surprenant s'offre au regard de l'équipage entre chien et loup. Plusieurs grands voiliers sont amarrés sur le quai d'entrée. Voiles déchirées, coques endommagées, tels des oiseaux blessés, abandonnés à leur triste sort d'épaves.
Le lendemain matin, le vent est tombé. L'équipage découvre alors une douzaine de navires semblables à quai , certains sur cales, d'autres couchés sur leur flanc. Quel est le mystère de ces épaves ? Serait ce la dangerosité de l'entrée du port la cause des avarie et échouages ? Ce serait étonnant d'autant que la marina de Rocella est une création récente, fruit manifeste de subventions européenne pour la Calabre.
A côté des épaves on découvre un bureau de Frontex, un autre de la Crioix Rouge, puis celui des gardes cotes et de la Guardia Financial...
Apres consultation, on apprendra que des passeurs sans scsrupules volent des bateaux en Afrique du nord, y entassent des dizaines de migrants moyennant finances et les laissent se diriger seuls vers l'Europe.
Mardi 14
L'arrivée est délicate car la houle déferle à droite de l'entrée du port. Nous prenons la journée pour se reposer se balader et se baigner.
Mercredi 15
François et Momo démontons le pilote pendant Yves prospecte les environs à la recherche de nouvelles pépites puis sous un soleil déjà bien plombant Momo pars vers 9h à la recherce d'un atelier de réparation (c'est une pièce en inox, difficile à percer, d'autant qu'il faut la percer dans le diametre et parfaitement perpendiculaire à l'axe !). Après trois ateliers, une vingtaine de km parcourus à pieds, autant parcourus en auto-stop, il est de retour victorieux à 13h30... Le soir, le pilote est réparé!
On restera une journée dans ce port funeste, le temps de remonter le régulateur grâce un habile mécanicien et un Momo capable de la dénicher.
Jeudi 16
Longue journée jusqu'à Crotone, énorme houle mais peu de vent, beaucoup de moteur, à se demander ce qu'on fait là! Arrivée vers 22h , ouf!
Vendredi 17- dimanche 19
Nous attendons le vent qui devrait se lever en fin d'après midi. Balade et bains de mer. A 17h, nous partons vers Corfou, cette fois c'est la bonne!
Après plus de 24h de navigation depuis Crotone dans une brume persistante, un peu avant la tombée du jour, l'équipage, au complet sur le pont, les a vues arriver une à une, doucement, hésitantes sortant de la brume, toutes chiffonées, les yeux fatigués. Quelques-unes sont d'abord venues tester prudemment notre bienveillance dans un long moment d'observation mutuelle. Commence alors une conversation silencieuse qui décidera de la survie ou de la mort pour ces petites migrantes perdues à encore 40 miles des côtes de Corfou.
Petit à petit, la confiance se construit. Les premières émissaires du groupe donnent un signal et plusieurs dizaines de copines les rejoignent, observent à leur tour l'équipage et s'installent partout où la place est libre. Les unes chaleureusement emmitouflées contre les autres se préparant puis cédant au sommeil au fur et à mesure que le jour décline.
Petit Gris est ravi de leur porter secours. Sans sa présence elles auraient probablement péri en mer. On amènage un couchage partout où c'est possible pour ces petites dames : sous la casquette, dans le lazy bag, sur des assiettes en étandage et mêmes sur les écoutes.
Et quand presque tout le monde dort, on transporte leurs petits corps fragiles dans un endroit plus sûr, avec autant de soin et de patience que pour des enfants endormis depuis une automobile jusque dans leur lit.
Ainsi se termine la dernière longueur de cette traversée vers Corfou dans la joie d'avoir retenue la vie menacée d'épuisement de ce groupe de très jeunes hirondelles qui a mal estimé ses forces pour remonter vers le Nord. Ce qu'elles feront ensuite chaque année au printemps plus prudemment.
Nous arrivons de nuit au port d'Alipa près de Paleocastritsa sur la côte ouest de Corfou, le dimanche 19 vers 5h du matin.
Après quelques heures de repos, nous visitons le lieu qui est magnifique: deux anses surmontées d'un promontoire où a été construit un monastère.
Nous nous baignons car l'eau y est vraiment bonne, ici c'est déjà l'été! Le soir nous allons à une fête de village avec méchoui et orchestre de musique locale typique, mandoline, accordéon, violon, ...
Mardi 21
Au matin quand la mer est chaude et la terre plus froide, la brise de montagne pousse Petit Gris hors de l'anse dans laquelle il dormait depuis 2 jours.
En passant le cap, il serre le vent au sud pour longer par l'ouest la plus grande des îles Ionnienes. Après une journée de pétole, la mer est presque plate, Petit Gris file presque 5 noeuds avec une petite brise.
Un café est servi, puis le barreur se retrouve seul sur le pont. Un oeil sur les pennons, un oeil sur le cap, le troisième sur la vitesse.
L'exercice est monotone, quasi hypnotique et les aléas du clapot installe une douce routine. Dans le cockpit, le silence est total. L'un dort, l'autre lit. Le rêve de l'un, la fiction de l'autre rejoignent et se fondent avec la méditation du barreur...
Le requin est marteau, la langouste prend sa rouste, le poulpe bat sa coulpe, le dauphin est chafouin, le calamar se marre alors la baleine a de la peine...
Cette chanson pour enfants semble sortir des haubans. Elle réveille le barreur. Un micro sommeil vraisemblablement. Le cap est toujours bon. Le pennons sont parfaits, la vitesse correcte. Mais en regardant la côte, il s'aperçoit qu'il a dormi au moins une dizaine de minutes...
Dans le cockpit, toujours silencieux, personne ne s'est plaint ni du cap ni de la vitesse. Le barreur s'interroge. Corfusément le doute s'installe. A t il vraiment dormi ou a t il l'illusion qu'il a dormi ? Mystère.
Aurait il pu, à l'instar des dauphins, des cigognes ou peut-être des hirondelles, mettre 90% de son cerveau en sommeil et diriger le bateau tout en dormant, aussi bien (sinon mieux) vers son objectif ?
Cette dernière hypothèse lui parait la plus probable mais il préfère ne pas la partager avec ses compagnons de crainte de passer pour un illuminé.
Pourtant l'intelligence collective des dauphins et de plusieures espèces d'oiseaux migrateurs est assez bien documentée. Un animal en état de veille dirigereait le groupe plus ou moins endormi connecté au leader. Cette connexion fonctionerait un peu comme une liaison bluetooh.
L'inflation récente des technologies de l'information perturberait d'ailleurs la cohésion des groupes de ces espèces. Ainsi cigognes, pélicans, colverts et autres volatilles ayant perdu leur groupe sont bien embarrassés pour continuer leur route.
L'hypothèse du barreur, fondée sur cette analogie se heurte à quelques délicates inerrogations.
Si le barreur a pu barrer en dormant une dizaine de minutes, qui était l'être, plus ou moins éveillé, a qui il serait connecté?
Si cet être existe, est humain, animal ou alors une entité plus globale?
Si cet être existe, est ce forcément dans notre présent, ou dans un espace temps plus ouvert?
Et si cette connexion fonctionne, on peut le supposer, par l'intermédiaire du rêve, quelle est la fonction de la chanson enfantine qui vient en mémoire du barreur quand il se réveille?
Reflexion faite, il serait peu prudent de partager toutes ces interrogations...
Mercredi 22
Mercredi 22 mai. Être dinosaure ensemble.
Le Mouillage à Paxos est saturé de plaisanciers. Au réveil, Petit Gris fuit cette concentration d'eau souillée. Le bain du matin se prendra au large où la mer est propre et le vent est quasi nul.
Quand nous barbotons dans l'eau fraîche tirés par un bout, quelques bateaux sortent aussi de l'anse mais poursuivent tous au moteur.
Dans un silence bienfaisant, Petit Gris glisse ensuite sur l'onde lisse code D déployé. Dans le carré, est diffusé un concert de petits bruits hydrauliques très doux dont la mélodie souligne l'harmonie de cette progression. La vitesse ne dépasse guère 2 noeuds.
Naguère les "voileux" étaient fiers de couper leur moteur dès la sortie du port. De faire à la voile quelque soit la force du vent. A la voile, on sait quand on part mais jamais quand on arrive...Mais les temps changent!
Aujourd'hui, trainer sur l'eau sans toucher au moteur, avec un vent quasi nul, fait figure de dinosaure. Mais quel bonheur d'être dinosaure ensemble!
De quoi se nourrit ce plaisir partagé de ralentir le temps et l'espace ? De chercher en apparence une anti performance ? D'être pas (ou moins) dépendant d'une énergie fossile ?
Peut on distinguer sans trop d'ambiguité, les plaisanciers des voileux dinosaures indépendamment de leur relation au moteur?
Le dinosaure peut passer une semaine ou deux sans aller dans un port. C'est à dire sans prendre de douche ni aller au bistrot. Le plaisancier ne le peut pas. Par conséquence le plaisancier est plus propre sur lui que le dinosaure qui reste aussi plus longtemps coupé de la civilisation.
Et à nouveau par conséquence, sa conversation, son état d'esprit, que dis je son âme... se distinguent assez facilement de celle et celui du plaisancier.
Mais je ne me sens ni capble ni autorisé à tracer une frontière stricte entre ces deux populations. D'autant que pour une part très majoritaire, je suis un irrascible dinosaure, une petite voix de plaisancier minoritaire sussure parfois à mon oreille : qu'est ce tu fous dans ce rafiot en pleine pétole, tu serais mieux au bistrot... Doncc si vous avez des arguments sur cette question n'hésitez pas à en faire part.
Le rythme lent et envoûtant de la seule force du vent réveille un espace intérieur apaisant. Les petits bruits hydrauliquesIl en révèle aussi des parties plus sombres. Nous fait découvrir nos zones secrètes, insoupçonnées depuis la terre.
Emporter avec soi sur les flots son habitation témoigne aussi d'une confiance dans nos capacités à épouser la mer pour le meilleur et pour le pire. A braver les pires intempéries autant que les longues accalmies, ensemble en équipage. Et toujours écouter individuellement le moral de ses compagnons pour renforcer la joie du groupe.
Outre les manœuvres, la nourriture et sa préparation, les jeux, les discussions, la baignade, les galégades et les chansons rythment les interactions de l'équipage.
En definitive, il faut être tout à la fois un peu fou et extrêmement éveillé pour partir ensemble en mer, en dinosaure.
Samedi 25
Le marin contemporain utilise, sur tablette ou smartphone, des applications gérant les données géographiques et prévisions météo. Après avoir renseigné les caractéristiques de son bateau, l'algorithme propose, suivant l'heure de départ, des routes supposées optimales pour relier un mouillage à un autre.
Les points de départ et d'arrivée étant définis, chaque soir, les membres de l'équipage, chacun à sa manière, fait sa route optimale en fonction des diverses applications météo et du choix de l'heure de départ.
Ensuite une discussion s'impose en confrontant les résultats obtenus. Cette discussion est parfois brève, parfois plus longue mais toujours animée. Le consensus est long et rarement sans discussion.
Une fois le départ donné plus personne ne discute, l'équipage s'affaire à tenir les performances du modèle. Il arrive que le navire réel soit devant le navire virtuel. Surtout au début, rarement à mi chemin, presque jamais amais au final.
Une seule chose est sûre dans cet océan d'aléas prévisionnistes : les raisons invoquées pour expliquer la supériorité du modèle, ne seront jamais l'habileté des marins.
Elles seront pléthoriques et reflètent la formidable créativité de l'esprit humain à se justifier. Citons pour exemple: la météo réelle n'est pas à la hauteur de celle attendue, une panne intempestive de régulateur a fait un erreur de cap ou encore les caractéristiques du navire virtuel serait trop différentes de celles du navire réel.
Sans être considérable mon expérience en mer me permet d'estimer le pourcentage à ajouter au temps de parcours proposé par le modèle pour connaître le temps réel de parcours. Ce pourcentage est à minima 30% et ... l'infini au cas où le bateau fait naufrage.
Aujourd'hui ce sera arrivée à Vathy sur l'ile d'Ithaque à 19h précise, mouillage au fond de la baie dans un vent assez fort qui nous incite à nous déplacer dans un renfoncement du début de la baie mieux abrité. On mouille par 4m de fond à 10m du bord.
Dimanche 27 -Promenade à Ithaque
Aujourd'hui on troc notre Escargot pour une Panda pour couvrir les 100km du tour de l'ile en quelques heures.